Parc Bordelais : oublier la ville

Parc Bordelais : oublier la ville


Inauguré en 1888, le plus grand parc de Bordeaux continue de répondre à sa vocation première : donner une campagne à ceux qui n’en ont pas.

Temps de lecture : 7 mn

Un peu de quiétude et de vert – Crédit photo : FranceSudOuest

La générosité de Camille Godard

Finalement, les 28 hectares de parcelles agricoles, de forêts et de vignes auraient pu disparaître au profit de l’expansion urbaine en cette seconde partie du 19e siècle. À l’Ouest de Bordeaux, la commune de Caudéran (devenu en 1965 un quartier de la capitale girondine) ne cesse de se développer autour du bourg de Saint-Amand. Les riches négociants apprécient le lieu, situé non loin des Chartrons, et y construisent de somptueuses maisons.

En 1864, Frank Cutler, un négociant britannique installé en France, a la bonne idée d’acheter la petite trentaine d’hectares de terres pour y installer un parc et un jardin d’acclimatation. Malgré le soutien de quelques actionnaires regroupés en société anonyme, son projet échoue.

Pour autant, l’ambition de proposer un vaste espace vert aux Bordelais ne s’éteint pas grâce au legs de Camille Godard (1823-1881) à la Ville de Bordeaux. Fils d’une riche famille de négociants en vin et Cognac, propriétaire du prestigieux château Kirwan, réputé humaniste et esthète, Camille Godard lègue toute sa fortune à la commune, aux conditions suivantes : « Faires des créations utiles et profitables pour un grand nombre avec la création de squares, de jardins, de promenades… Et pour commencer, que la Ville crée une école de jardiniers pour les cultures maraîchères, fruitières, pour l’arboriculture et la culture florale. »

La municipalité se porte acquéreuse des 28 hectares en 1882 et respecte la volonté de son généreux mécène. À la fin du 19e siècle, les politiques publiques entament un « mouvement hygiéniste », comme l’explique l’architecte Michel Pétuaud-Létang, cité par Sud-Ouest. « Alors que les villes devenaient de plus en plus insalubres, les espaces verts étaient vus comme la solution pour purifier l’air. »

Trois ans de travaux

C’est aux architectes-paysagistes Denis et Eugène Bühler qu’est confiée la lourde mission de transformer cette vaste superficie en parc d’agrément. Les deux frères jouissent d’une excellente réputation nationale grâce à leurs projets antérieurs, notamment le parc de la Tête d’Or à Lyon et le parc du Thabor à Rennes.

Les travaux débutent en 1885 et se poursuivent jusqu’en 1888. Au départ, les Bühler souhaitent « réunir les spécimens remarquables de la flore et la faune des divers pays du monde », mais y renoncent au regard du coût trop élevé de l’entretien.

Ils doivent aussi prendre en considération les vœux exprimés par Camille Godard, qui voulait que soient plantés des magnolias, des noyers d’Amérique, des cyprès chauves de Louisiane et même des séquoias. Ces espèces végétales avaient été introduites dans la région par le botaniste bordelais Toussaint-Yves Catros au début du siècle.

Les frères Bühler orientent donc leur projet vers un parc plus traditionnel et s’inspirent en partie des parcs parisiens. Ils tracent un axe principal, surnommé le « baladoir », qui permet de rejoindre les espaces boisés, dont certains composés d’arbres antérieurs à la création du parc ou formés de chênaies. Ce sont aussi de multiples itinéraires de promenade plus étroits et discrets, qui renforcent l’impression champêtre.

La construction du plan d’eau, large de plus d’un hectare, ajoute au prestige des lieux. Les paysagistes se servent d’ailleurs des remblais issus du creusement pour créer des parties vallonnées, toujours dans le souci de reconstituer un environnement naturel et authentique. Le petit lac se prolonge d’une rivière que vient enjamber un pont à l’anglaise.

Vue sur le lac du Parc Bordelais, vers 1900.

Ce sont en fait différentes scènes végétales que les deux frères ont réussi à agencer autour du baladoir. « Des salles de verdures et des bosquets, un bois en étoile planté dans la tradition classique, des points de vue sur la rivière, le lac et la cascade » détaille le Comité des Parcs et Jardins de France sur son site Internet.

La campagne en ville

Afin de proposer une expérience nouvelle au public bordelais, Denis et Eugène Bühler ne lésinent sur aucun détail. Ils agencent une vaste aire de jeux pour les enfants, prévoient une largeur conséquente du baladoir (11 mètres) afin de permettre le passage des voitures à cheval, font bâtir un mini-zoo, installent des abris en toit de chaume pour se protéger de la pluie ou du soleil, veillent à la diversité des plantes et arbustes…

Le Parc Bordelais est officiellement inauguré le 28 avril 1888 par le Président de la République, Sadi Carnot, en compagnie du maire de Bordeaux, Alfred Daney.

La Ville dispose de son plus grand parc depuis près de 140 ans, véritable poumon vert au cœur d’un territoire aujourd’hui largement urbanisé. Les plus grands soins lui sont apportés, comme ce fut le cas en 1999, après le passage des tempêtes Lothar et Martin. Plus de 700 arbres ne résistent pas à la puissance des vents, semant la désolation dans le parc. La municipalité fait alors appel à la paysagiste Françoise Phiquepal pour réhabiliter le site. La spécialiste des jardins historiques redonne âme au Parc Bordelais en replantant les essences d’origine. Elle intervient à nouveau entre 2004 et 2006 pour réaménager l’endroit, en veillant à retrouver les grands espaces, libèrer l’eau stagnante du lac, déplacer les jeux d’enfants, installer un parc à chiens et tracer un chemin non goudronné tout autour du parc, aujourd’hui fréquenté par les joggers.

Et demain ?

Le parc fait valoir de nombreux arguments pour apaiser et retenir les visiteurs, comme la ravissante petite auberge où il fait bon siroter un verre en terrasse, le rucher-école chargé de mener des actions d’initiation à l’apiculture, la ferme abritant des espèces endémiques de la région, sans même parler de la faune, à l’instar des lapins, des écureuils (très nombreux), des canards et des oies à proximité du plan d’eau.

Pour leur part, les enfants profitent d’une petite piste dédiée aux voiturettes électriques, assistent aux spectacles de marionnettes du légendaire Guignol Guérin, jettent du pain aux canards ou se défoulent sur les aires de jeux à leur disposition.

La richesse botanique du parc et les soins permanents dont il fait l’objet lui valent le label « Jardin Remarquable » en 2011. La mairie de Bordeaux lui attribue le label « Famille Plus ».

Idéal pour le footing, le sentier forme une boucle de près de 2 km – Crédit photo: FranceSudOuest

Bref, le Parc Bordelais répond à sa vocation originelle d’offrir un peu de campagne aux citadins. Ce n’est pourtant pas suffisant pour l’association « Caudéran mon village », qui veut se montrer plus ambitieuse. Elle mène le combat pour que le site soit inscrit au titre des Monuments Historiques afin d’imposer un cadre pour toute modification, percevoir des subventions et attirer davantage de touristes. Pour argumenter son dossier, « l’association défend à la fois le parc en tant qu’œuvre, celle de l’architecte et paysagiste Eugène Bühler, mais aussi en tant que témoignage historique de l’esprit de philanthropie (un peu paternaliste) du 19e siècle » précise le journaliste Gwenaël Badets dans Sud-Ouest (04/09/2024).  

Force est de constater que les magnifiques grilles du parc, notamment celles de l’entrée située rue du Bocage, subissent les outrages du temps et de la rouille. Sans même évoquer les incivilités, toujours plus nombreuses.

En attendant, le parc Bordelais s’est imposé comme une destination incontournable pour la population urbaine, avec ce doux sentiment d’oublier la ville pendant quelques heures.

Pratique

Accès : Quartier Caudéran, à l’ouest de la ville. Accès par les barrières Saint-Médard et du Médoc. Plusieurs entrées: rue du Bocage, avenue Carnot, avenue d’Eysines, avenue Charles de Gaulle, rue Godard…
S’agissant des transports en commun (à privilégier, car les places de stationnement à proximité ne sont pas toujours évidentes), la station Courbet la ligne de tramway D et les lignes de bus G, 2, 23 desservent fort bien le parc.

Ouverture : Tous les jours et toute l’année. Ouverture à 7 heures. Fermeture à 18 heures du 1er novembre au 14 février, à 19 heures du 15 février au 31 mars et du 1er au 31 octobre, à 20 heures du 1er avril au 31 mai et du 1er au 30 septembre, à 21 heures du 1er juin au 31 août.

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