Décidée à réveiller un monument assoupi, la coopérative de Monbazillac a lancé un ambitieux programme de rénovation et de promotion.
Olivier Sorondo 14 août 2022 – Dernière MAJ : le 14 août 2022 à 21 h 59 min
Crédit photo : Jonny – Flickr
Image emblématique des célèbres liquoreux
Les vins de Monbazillac, outre leurs qualités gustatives évidentes, profitent d’une image de marque particulière, que leur apporte le château de même nom. Le magnifique monument, édifié au 16e siècle, attire inévitablement le regard grâce à ses quatre grosses tours circulaires. Acquis par la cave coopérative de Monbazillac en 1960, il domine les 25 hectares de vignes et contribue à leur réputation.
Mais « le lieu ronronnait » depuis quelques années, comme le reconnaît Guillaume Barou, président de la cave. Soucieux de réveiller le château, classé aux Monuments historiques, les vignerons ont initié un projet en 2017, à même de faire entrer pleinement l’appellation Monbazillac dans l’ère de l’œnotourisme.
Après un investissement de deux millions d’euros et huit mois de travaux, le prestigieux édifice révèle un nouveau visage, tout entier tourné vers les visiteurs. « Le château de Monbazillac s’ancre dans le tourisme d’avenir avec cette restructuration de notre offre oenotouristique, et devient ainsi une pépinière d’initiatives » se réjouit Guillaume Barou, cité par le site d’information Vitisphere, dédié aux professionnels de la vigne.
Programme ambitieux et ludique
Depuis le mois de juin, le public est invité à découvrir les trois espaces thématiques.
Le premier, agencé sur une superficie de 300 m², suit une finalité muséographique. Les visiteurs découvrent l’histoire de l’appellation et le processus de vinification, de la vigne à la mise en bouteille. Les concepteurs ont insisté sur les outils high-tech, à grand renfort d’images et de son. L’ambition est de proposer « une approche instructive, ludique et humaine », selon Pauline Auban, la responsable de l’œnotourisme citée par Sud-Ouest.
Le deuxième espace se consacre aux expositions dédiées à l’histoire du terroir, selon différents aspects. La première porte sur le protestantisme et la seconde évoque la famille de Bacalan, habitante des lieux pendant la Révolution française.
Enfin, le troisième et dernier espace ouvre ses portes aux artistes. Depuis le 24 juin, Marlène Mocquet et Laurent Mareschal, respectivement céramiste et sculpteur plasticien, exposent le fruit de leur création. Le château suit aussi une politique de résidence d’artistes, en leur offrant l’histoire des lieux et la beauté du parc pour nourrir leur imagination et leurs projets.
Une demi-journée d’immersion
La variété des animations impose de consacrer quelques heures au château de Monbazillac. Les visites se concluent évidemment par une dégustation du divin breuvage, au pavillon des Arômes.
Même si le vin ne les concerne pas de prime abord, les enfants n’ont pas été oubliés par les organisateurs. Ils peuvent se rendre dans les caves, où différentes attractions les attendent, comme la conception et l’édition d’une étiquette d’une bouteille de jus de raisin.
Des animations sont prévues tout au long de l’été, construites autour de quatre thèmes : le métier, l’utilisation de la robotique, le château dans le territoire et le rendez-vous des vignerons. C’est l’occasion rêvée de rencontrer les viticulteurs et d’échanger en leur compagnie.
Le cadre prestigieux du château de Monbazillac se prête aussi fort bien à l’organisation d’un petit pique-nique, à moins que l’on ne préfère profiter du restaurant maison, le Pavillon Brizay.
Les visiteurs enthousiastes et les amateurs de bon vin concluront certainement leur visite par un passage à la boutique, entièrement rénovée.
Tarifs :
Deux formules sont proposées :
Le Monba’licieux : visite de tous les espaces et dégustation commentée de trois vins : 15 €
Le Monbazill’Art : visite libre du château et dégustation d’un vin parmi la sélection : 10 €
Réputé dans le monde entier, le vin de Bordeaux peut s’enorgueillir d’une histoire deux fois millénaire, aux multiples soubresauts.
Olivier Sorondo – 8 juin 2022 – Dernière MAJ : le 8 juin 2022 à 18 h 45 min
Parcelles de vignes à Saint-Emilion – Crédit photo : El Primer Paso Blog – Flickr
La contribution des Romains
Au tout début, il n’y avait rien. Pas un seul pied de vigne. Avant l’invasion romaine (58 – 52 av. J.-C.), les Gaulois d’Aquitaine se consacrent surtout à la production de blé. Le vin reste méconnu, à la différence de la cervoise, obtenue à partir d’orge.
Sur les rives de la Garonne s’est installée la tribu gauloise d’origine celtique des Bituriges Vivisques, fondateurs de Burdigala (Bordeaux). A l’instar des autres tribus, elle doit se soumettre au général Crassus, qui conquiert Burdigala et sa région en 56 av. J.-C.
Passée l’humiliation de la défaite, la présence romaine apporte de nombreuses transformations en Aquitaine. Les habitants découvrent notamment le vin, importé de Pompéi, d’Espagne ou du Narbonnais. La boisson est appréciée, mais reste chère, soumise à des droits élevés.
L’existence des Bituriges Vivisques dépend essentiellement du commerce de l’étain venu d’Armorique et de Bretagne. Après la conquête romaine de la Bretagne, les Gaulois aquitains doivent trouver une nouvelle activité et s’intéressent à un nouveau cépage importé par les Romains, le Biturica, résistant au froid.
De fait, les Bituriges se convertissent à la plantation de vignobles de 40 à 60 après J.-C. Lors de son passage dans le Bordelais en 71, Pline l’Ancien, écrivain et naturaliste romain, témoigne de la présence de vignes autour de Burdigala.
Il est vrai que la région offre un sol adapté et un climat propice aux raisins. Au fil des décennies, le vignoble s’étend, l’expérience s’affine, le commerce se développe et l’histoire du vin de Bordeaux s’écrit. apparaît beaucoup trop vaste pour représenter raisonnablement le Sud-Ouest.
La vigne n’est pas un long fleuve tranquille
Si la présence romaine a permis de transformer Bordeaux en place incontournable du négoce, les premières invasions barbares, dès la fin du IIIe siècle, déstabilisent la production viticole. Il en sera ainsi jusqu’à l’an Mil.
Le Moyen-Âge se révèle autrement plus favorable. D’abord, l’expansion du christianisme s’accompagne d’une demande croissante de vin, essentiel au culte. Ensuite, le défrichement de nouvelles terres permet la plantation de nouveaux vignobles. Enfin, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine et de Henri II Plantagenêt en 1154 fait basculer l’Aquitaine sous l’autorité anglaise. Il permet aussi de développer la distribution de vin vers la Grande-Bretagne. Pendant trois siècles, les Bordelais profitent d’avantages fiscaux, les autorisant à construire un commerce solide. Le port de la ville tourne à plein.
Les guerres menées par les rois de France contrarient certes les exportations, mais n’empêchent pas la vigueur viticole. D’autant plus que la qualité du vin ne cesse de s’améliorer et la réputation de Bordeaux de s’amplifier. Au 17e, les Hollandais deviennent d’importants consommateurs. Un siècle plus tard, le commerce explose grâce au trafic colonial et aux îles d’Amérique (Saint-Domingue et les petites Antilles).
Rien ne semble arrêter la prospérité des producteurs et marchands bordelais. Pourtant, en 1853, la maladie de l’oïdium contamine le vignoble français et dévaste les deux tiers de la récolte. Les vignes touchées sont arrachées, la production dégringole. Le remède, à base de vaporisation de soufre, n’est trouvé que quatre ans plus tard.
Quelques années plus tard, la crise du phylloxéra ravage une nouvelle fois les vignes du pays. Le Bordelais est touché en 1866. Malgré les efforts déployés pour endiguer la propagation du puceron, les viticulteurs se résolvent à arracher l’intégralité de leurs pieds de vigne, progressivement remplacés par des plants américains, plus résistants. Ils servent de porte-greffe pour recevoir des greffons français afin de pérenniser les cépages autochtones.
Il faut quasiment attendre le début du 20e siècle pour que le Bordelais se couvre à nouveau de vignobles en pleine santé. Dorénavant plantés en rangs alignés et non plus en ordre dispersé, ils facilitent le passage de chevaux de trait et l’aération du sol.
Mais quelle est donc l’origine du pruneau d’Agen ?
Réputé pour son goût, ses fibres et vitamines, le pruneau d’Agen est né à l’abbaye de Clairac au 12e siècle. Mais le pruneau était déjà consommé depuis des siècles.
Olivier Sorondo – 31 mars 2022 – Dernière MAJ : le 1 juin 2022 à 14 h 08 min
Crédit photo : Bureau national Interprofessionnel du Pruneau
Une très longue histoire
Le pruneau doit certainement son apparition à la route de la soie, reliant la Chine à la Rome antique. Elle a en effet permis au prunier de s’établir sur le pourtour méditerranéen et de s’y développer.
La technique consistant à transformer la prune en pruneau ne revient pas aux habitant du pays d’Agen. Dès l’Antiquité, on procède en effet au séchage du fruit en l’exposant au soleil. Les médecins grecs, romains et arabes recommandent ses vertus diététiques et nutritionnelles.
Ce n’est pas non plus à Agen que les premiers pruniers sont plantés, mais dans la province romaine dite de « La Narbonnaise ». Les Romains introduisent en Gaule plusieurs variétés de prunes, dont la prune Maurine (ou de Saint-Antonin), qui se transforme en petit pruneau très noire.
Il faut attendre le 12e siècle pour que le pruneau d’Agen fasse enfin son apparition. Défaits lors de leur 3e croisade, les Templiers rapportent en France des plants de pruniers de Damas. Les moines-soldats font à ce titre l’objet de nombreuses critiques, beaucoup estimant qu’ils se sont rendus en Orient « pour des prunes », c’est-à-dire pour rien. L’expression est restée !
Les moines bénédictins de l’abbaye de Clairac (à quelques dizaines de kilomètres d’Agen) tirent néanmoins avantage de la situation et plantent quelques pruniers de Damas. Ils ont surtout la bonne idée de greffer les pruniers locaux avec ceux ramenés de Syrie, donnant ainsi naissance à une nouvelle variété de fruit, la prune d’Ente.
La particularité du pruneau d’Agen
Dotée d’une robe bleu mauve, la prune d’Ente s’adapte bien au climat du Sud-Ouest.
Le séchage s’organise en deux étapes. La première consiste à installer les prunes sur un tapis de paille pour profiter du soleil. Les religieux font ensuite preuve d’innovation en répartissant les fruits sur des claies en bois de peuplier qu’ils introduisent dans un four à pain, chauffé à douce chaleur.
L’opération permet d’obtenir un pruneau de belle taille, parfaitement séché, aux saveurs fines et plaisantes. C’est le début d’une grande aventure commerciale.
Récoltés dans la région de Villeneuve-sur-Lot, les pruneaux sont transportés en gabarre du port d’Agen jusqu’à celui de Bordeaux avant d’être chargés à bord de voiliers commerciaux. Les fruits étant enregistrés d’après le nom du port d’embarquement d’origine, on les identifie sous la dénomination de « pruneaux d’Agen », marquée sur chaque baril.
Dès le 17e siècle, les marins apprécient particulièrement le produit. Facile à conserver, goûteux, il représente un remède efficace contre le scorbut.
Sa commercialisation s’internationalise. On apprécie le pruneau d’Agen en Angleterre, aux Pays-Bas, en Afrique du Sud et dans le Nouveau Monde.
Un siècle plus tard, la production de prunes d’Ente se diffuse plus largement, sur les terres argilocalcaires entre la Garonne et le Lot. En 1894, on ne compte pas moins de cinq millions de pruniers dans le Lot-et-Garonne.
Séchages des prunes d’Ente au début du 20e siècle – Crédit photo : BIP
La priorité est de répondre à la forte demande de nombreux pays, qui découvrent la petite pépite noire grâce à la Royale et à la marine marchande française.
Les techniques de séchage évoluent. En 1955, les producteurs ont recours à la technique du tunnel, d’abord chauffé au bois puis au fioul, avant d’adopter le gaz propane.
Aujourd’hui, 1140 exploitations s’impliquent dans la production du pruneau d’Agen, répartie sur les 12735 hectares de la zone IGP. Avec plus de 40 000 tonnes produites chaque année, ils contribuent à pérenniser un fruit réputé et un savoir-faire séculaire.
À quelques kilomètres au sud de Condom, dans le Gers, le village de Saint-Puy profite d’une vue exceptionnelle. Juché sur une colline, il accueille le château de Monluc, dont la première pièce fut posée il y a près de dix siècles. L’édifice a bravement traversé les péripéties de l’Histoire. Il subit pourtant les assauts du comte d’Armagnac en 1272, qui l’assiégea et le brûla en partie après le refus du Comte de Gaure de le lui céder. Fort heureusement, le château fut reconstruit sous l’impulsion du roi de France, Philippe le Hardi.
En 1425, le roi Charles VII fait cadeau du comté de Gaure à son cousin Charles d’Albret. Ce dernier offre le château en 1470 à son maître d’hôtel, Pierre de Lasseran-Massencôme, Seigneur de Monluc, rattaché à la Maison de Montesquiou.
C’est dans cette vaste demeure que naît Blaise de Monluc en 1500. L’homme connaît une carrière militaire brillante grâce à sa fougue et à son entière dévotion aux rois de France. Il reçoit d’ailleurs le titre de maréchal de France en 1574, au crépuscule de sa vie.
Surtout, Blaise de Monluc a ramené des guerres d’Italie une longue et fine épée, la rapière, particulièrement appréciée des Gascons. Légère et tranchante, elle se révèle redoutable au combat, à la différence des lourdes épées du Moyen-Âge. Il était d’usage de « pousser la rapière » sur l’ennemi.
Le château de Monluc, à Saint-Puy – Crédit photo: Google Street View
Le seigneur de Monluc profite aussi sur ses terres de la culture des vignes, introduite par les Romains en Gascogne. Au 15e siècle, les vignerons commencent à distiller une partie de leur production et donnent naissance à l’armagnac.
Ces éléments historiques ne laissent pas de marbre René Lassus, l’héritier du château de Monluc. Issu d’une famille de vignerons, il entreprend de champagniser les vins de son vignoble, en considérant qu’ils pourraient joliment se marier avec un fond d’armagnac.
Sa démarche s’inspire d’une recette familiale, qu’il entend améliorer. Il a ainsi la bonne idée d’aromatiser la liqueur d’armagnac à l’orange amère, dont toutes les saveurs se révèlent dès lors qu’on y ajoute un vin gascon brut et mousseux.
Une création et une fierté gasconnes
L’année 1961 voit donc naître un nouvel apéritif qui revendique son origine et son terroir. René Lassus le surnomme Pousse l’Amour et limite sa diffusion auprès de ses amis, dont ceux de la Compagnie des Mousquetaires d’Armagnac.
Néanmoins, le divin breuvage suscite un tel enthousiasme qu’il envisage de le commercialiser. Il réfléchit à un nouveau nom et se tourne presque naturellement vers l’histoire du seigneur de Monluc, redouté en son temps grâce à son maniement de la rapière. C’est ainsi qu’il choisit le terme de Pousse Rapière avant de partir à l’assaut des clients.
Son concept, consistant à marier la liqueur d’armagnac au vin brut produit selon la méthode traditionnelle champenoise, fait mouche. « Son succès tient au fait que les deux composants sont élaborés, dès l’origine, dans le souci de réaliser un mélange équilibré. Le vin et la liqueur sont faits l’un pour l’autre, à partir du même terroir, du même vignoble et leur mariage est le plus naturel et heureux qui soit » expliquait Noël Lassus, le fils de René, à Sud-Ouest en 2011.
La liqueur d’Armagnac est ainsi préparée avec le jus issu de la macération des zestes d’orange amère et une pointe de sirop de sucre. L’orange apporte ce goût inimitable au Pousse Rapière.
Il convient également d’utiliser, si l’on souhaite pleinement profiter de l’apéritif gascon, le vin sauvage produit par le château de Monluc. Issu du même vignoble, il se compose des mêmes cépages blancs que celui de l’armagnac, le gros manseng et l’ugni-blanc. La première cuvée permet la fermentation du raisin. La seconde fermentation intervient lors de l’assemblage final, au cours duquel sont ajoutées de la liqueur de sucre et des levures. L’opération permet de donner naissance aux bulles, après élimination des levures mortes et leur remplacement par une « liqueur de tirage ».
Dans un souci de qualité, l’assemblage se nourrit de vins produits au cours de l’année, mais aussi de ceux des deux années précédentes
Il en résulte un vin mousseux brut, à la saveur vive et au léger goût de citron.
Le Pousse Rapière fête ses 50 ans
Déjà un demi-siècle d’existence pour l’apéritif gascon, quelquefois imité, mais jamais égalé. Sa dégustation obéit à une règle simple : 1 volume de liqueur de Pousse Rapière pour 6 volumes de vin sauvage, sorti du réfrigérateur. On peut y ajouter un quart de rondelle d’orange.
En l’absence de vin sauvage, un autre vin mousseux peut être utilisé, à la condition qu’il soit brut. Un vin demi-sec ou doux ne conviendrait pas, du fait que la liqueur d’armagnac est déjà sucrée.
Malgré ses indéniables qualités gustatives, le Pousse Rapière peine à rencontrer un plus large public, qu’il mérite pourtant. Le précieux nectar reste surtout distribué dans le Sud-Ouest du pays. Le château Monluc écoule ainsi 150 000 bouteilles chaque année.
Le Pousse Rapière et son vin sauvage avant leur relooking.
Si la vente en ligne peut contribuer à améliorer les ventes, les propriétaires du domaine consentent des efforts en matière de marketing et de promotion commerciale. Le château Monluc a ainsi rejoint le Club des marques en 2018, qui regroupe d’autres maisons d’armagnac, en vue de développer son activité à l’export.
Le design a également été entièrement revu, donnant naissance à une bouteille en verre noire, sur laquelle se détache une étiquette relookée.
Autre nouveauté, le Pousse Rapière se décline désormais selon trois degrés d’alcool différents : 20, 24 et 36 degrés, signalés par une couleur différente de l’étiquette.
Enfin, la liqueur orangée est aujourd’hui commercialisée sous deux formats de bouteille (70 et 35 cl) afin de mieux répondre aux attentes des consommateurs.
Le produit ne change pas, heureuse conclusion d’une recette familiale toujours gardée secrète. Tout comme le Floc de Gascogne, le Pousse Rapière offre une alternative singulière lorsque sonne l’heure de l’apéritif. Il promet un plaisir sincère de dégustation, et, surtout, toute l’authenticité d’un pays dédié à l’art du bien vivre.
C’est dans l’atelier de sa biscuiterie de la rue Bergeret, quartier des Capucins, que Raymond Boulesque conçoit en 1938 une poudre avant-gardiste. Sa formulation permet en effet de remplacer 30 % de sucre, cher à l’époque, par des farines de céréales, essentiellement du blé.
« Au départ, c’était de la poudre à épaissir avec du lait pour en faire de la bouillie pour enfants. Puis, les femmes ont utilisé ce produit pas cher, goûtu et nourrissant pour en faire des desserts pour toute la famille », précise Carole Boniface, responsable des boutiques Jock, au journal Sud-Ouest (04/08/21).
D’abord commercialisé en pharmacie, puis dans les épiceries de la ville, le produit rencontre un vrai succès. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les denrées restent rares et onéreuses. La crème Jock s’invite presque naturellement parmi les desserts appréciés des Bordelais.
En 1946, Raymond Boulesque imagine un petit-déjeuner chocolaté qu’il intitule Mars. Hélas, il oublie déposer le nom et, surtout, ignore qu’une barre au chocolat homonyme existe déjà au Royaume-Uni depuis 1932.
Malgré ce revers, l’entreprise poursuit sa croissance et s’installe en 1955 dans une usine flambant neuve rue de Bethmann. Jock continue d’innover en matière de poudres déshydratées, notamment celle permettant de préparer la crème Tradition au chocolat, toujours en vente aujourd’hui.
En 1999, l’entreprise déménage de l’autre côté de la Garonne, quai de Brazza. Dirigée par Jean-Philippe Ballanger, descendant de Raymond Boulesque, elle continue de miser sur la diversification en profitant de l’attachement de ses clients, fidèles depuis des générations.
Des desserts faciles, rapides et goûteux
Si la crème vanillée originale continue d’être commercialisée, Jock a su étendre sa gamme de produits pour coller au plus près des attentes des consommateurs. Depuis 2006, elle propose sa pâte à gâteau prête à cuire.
« Qu’on le veuille ou non, aujourd’hui, trouver les 3 minutes de touillage en casserole de la recette qui garantissent la réussite de la crème Jock, ce n’est pas si évident que cela. Nous mettrons le temps qu’il faut pour parvenir à proposer la solution qui facilite tout » déclare ainsi Jean-Philippe Ballanger à Objectif Aquitaine (23/09/2016).
De fait, les produits estampillés Jock invitent à une dégustation rapide. Baba au rhum pur beurre, moelleux au chocolat, pain d’épices au sucre complet de canne et miel français, fondant caramel… Ces recettes n’appellent aucun ingrédient supplémentaire. Il suffit de verser la préparation dans un moule beurré et d’enfourner.
Crédit photo: Maison Jock
D’autres produits nécessitent en revanche l’ajout de quelques ingrédients de base (œufs, beurre) avant de révéler toute leur saveur. C’est le cas du gâteau aux noisettes du Lot-et-Garonne ou encore du gâteau aux amandes de Méditerranée.
Ces produits contribuent certes à l’identification de la marque Jock, mais ne représentent pourtant qu’une faible part du chiffre d’affaires. L’entreprise consacre en effet une large part de son activité à la production de levure et de sucre vanillé, vendus en marques distributeurs.
Pour autant, il n’est pas envisagé une seconde d’abandonner les produits emblématiques de la maison, qui jouissent d’un réel capital sympathie auprès des consommateurs. « Avec Jock et lait en toute saison, régal et santé dans votre maison » proclamait la première publicité dans les années 1940. Un message qui semble toujours faire mouche aujourd’hui, en pleine période de pandémie.
Sa simple évocation suscite une gourmandise immédiate et provoque des réactions parfois passionnées sur la manière de le préparer, dans le respect de la sacro-sainte tradition. Mais pourquoi tant de haine ?
Olivier Sorondo 0 octobre 2021 – Dernière MAJ : le 20 octobre 2021 à 18 h 18 min
Il a pourtant l’air si bon et si inoffensif – Crédit photo : Joselu Blanco – Flick
De toute façon, t’y connais rien
C’est un fait. Le gâteau basque participe aujourd’hui à la culture de même nom. À l’instar de la langue, du folklore, de la pelote et même du béret (même si le béret est béarnais), il constitue une lourde pierre de l’édifice basque, à laquelle on ne touche pas.
Ce respect bétonné de la tradition ne tolère aucune déviation, s’agissant même de la recette du gâteau basque. Chaque gourmet est en effet persuadé d’avoir découvert le VRAI gâteau, acheté dans une petite boulangerie typique d’Ustaritz ou une maison réputée de Bayonne. Et forcément, les autres dégustations se sont révélées décevantes à cause d’une recette jugée un peu différente ou d’un savoir-faire moins bien maîtrisé.
Sans le vouloir, chacun s’improvise spécialiste ou gardien du temple. En discuter avec une connaissance peut gentiment tourner au pugilat, en considérant que l’autre n’y connaît pas grand-chose.
Il suffit de parcourir les commentaires laissés sur Internet pour constater le degré de passion. Ainsi, cette pauvre habitante de Montréal qui a dévoilé les photos de son « gâteau basque à la vanille et aux bleuets » a dû faire face à quelques remarques sarcastiques, dont celle d’un pâtissier bayonnais : « Tout ce qui ne respecte pas la recette n’a en aucun cas le droit de s’appeler gâteau basque. Le respect des valeurs avant tout. » Et vlan !
Sur les sites de cuisine, les recettes approximatives ou personnelles appellent des réactions nettes et claires : « nul », « aucun goût de gâteau basque », « allez faire un tour au musée du gâteau basque », « un vrai désastre cette recette », « tout est passé à la poubelle » …
La pâtisserie basque ne tolère aucune improvisation. Les puristes y veillent. Il n’est même pas raisonnable d’évoquer les deux versions, la première à la crème pâtissière et la seconde à base de confiture de cerises noires d’Itxassou.
À l’origine, le « gâteau de Cambo »
Si l’histoire du peuple basque se perd dans la nuit des temps, celle du gâteau se veut plus contemporaine. L’entremets aurait été popularisé par Marianne Hirigoyen, pâtissière à Cambo-les-Bains, dans les années 1830, après avoir hérité de la recette de sa belle-mère.
Ladite recette était déjà réalisée dans les foyers basques environnants tout au long du 19e siècle, chacun l’interprétant à sa manière.
Pour couper court aux inutiles polémiques, les garnitures pouvaient varier au gré des ingrédients disponibles : crème, cerise, prune, abricot…
Déjà heureuse de profiter d’une clientèle fournie et internationale grâce aux thermes de la ville, Marianne se rend chaque jeudi au marché de Bayonne, où ses fidèles clients attendent de se régaler du « etxeko bixkotxa » (gâteau maison). La réputation s’envole…
Reconnaissables entre mille – Crédit photo: anonphotography.com – Flickr
Au fil des décennies, les boulangers et pâtissiers locaux s’emparent de la recette et contribuent au succès du gâteau, que vient aider l’essor du tourisme à Biarritz dans les années 1930.
Le gâteau de Cambo devient le gâteau basque.
Protéger le patrimoine
Si le gâteau basque a connu différentes interprétations dans les foyers basques depuis sa naissance, la base n’a jamais varié : beurre, œufs, farine, sucre et sel. La crème pâtissière peut recevoir de la poudre d’amande, du rhum ou de la vanille. Bien sûr, la confiture de cerise noire d’Itxassou (et de nulle part ailleurs) est la bienvenue.
L’association Eguzkia, fondée en 1994, veille à défendre un gâteau basque authentique. Son cahier des charges, déposé à l’INPI, vise à privilégier l’utilisation de matières premières naturelles et le respect a minima de la recette traditionnelle.
« Eguzkia est une association d’artisans militants, convaincus que le gâteau basque doit se faire selon une charte de qualité, mais c’est également le ciment d’une amitié indéfectible entre tous ses membres » déclare ainsi le président. Aujourd’hui, le combat de l’association vise à obtenir le Label Rouge, avec l’appui de la Chambre des métiers des Pyrénées-Atlantiques.
Cette quête de la qualité se traduit notamment par la fête du gâteau basque, organisée chaque année en octobre à Cambo-les-Bains. L’évènement permet depuis 2003 de rapprocher les artisans et les milliers d’amateurs. C’est aussi l’occasion de participer à un atelier de fabrication, d’assister au spectacle du folklore basque, de découvrir la ville et bien sûr de se régaler des meilleurs gâteaux, auxquels veille la confrérie.
Le gâteau emblématique du Pays basque a aussi son musée, situé à Sare. L’établissement partage la mission de l’association Eguzkia en faveur des artisans. Outre la possibilité de découvrir des centaines d’objets usuels de la maison basque, il permet aux visiteurs de participer à différents ateliers et de cuisiner leur propre gâteau avec fierté sous l’égide d’un chef pâtissier.
La (vraie ?) recette du gâteau basque
Afin de ne pas susciter davantage de polémique, la recette ci-dessous est celle publiée par l’association Eguzkia. Bien sûr, si vous souhaitez ajouter du chocolat ou du mascarpone, évitez de publier vos photos sur les réseaux sociaux. Les puristes veillent, prêts à dégainer.
Pour 6 personnes – Préparation: 30 minutes – Cuisson: 30 à 40 minutes (160°C)
LA PATE
300 gr de farine
3 pincées de sel
120 gr de beurre
200 gr de sucre cristallisé
2 œufs
2 cuillères à soupe de rhum ou de vanille
1 sachet de levure
LA CREME
4 œufs
125 gr de sucre semoule
40 gr de farine
2 cuillères à soupe de rhum
1-2 gousse(s) de vanille
Préparation de la pâte :
Dans un saladier, commencez par bien mélanger le beurre coupé en morceaux et le sucre cristallisé.
Ajoutez les œufs, le sel, la farine, la levure et l’arôme.
Mélangez le tout jusqu’à l’obtention d’une pâte sablée non collante.
Laissez reposer la pâte au réfrigérateur à +4°C pendant au moins 1 heure.
Préparation de la crème pâtissière :
Dans un bol, fouettez les œufs et le sucre semoule afin d’obtenir un mélange mousseux.
Ajoutez délicatement la farine et mélangez.
Portez le lait à ébullition avec les gousses de vanille ouvertes et un peu de rhum.
Après avoir retiré les gousses de vanille, précipitez la moitié du lait dans le bol contenant la préparation d’œufs et de sucre.
Mélangez puis remettre le tout dans la casserole.
Portez le mélange à ébullition 3 à 4 minutes en remuant sans cesse, afin que la crème s’épaississe.
Versez la crème dans un récipient et laissez‐la refroidir à température ambiante.
Montage :
Préchauffez votre four à 160°C (thermostat 6).
Beurrez un moule de 22 cm de diamètre, puis le fariner.
Prendre la pâte reposée, la travailler légèrement et l’étirer grâce à un rouleau à pâtisserie sur une table farinée, afin d’obtenir une pâte de 4 à 5 mm d’épaisseur.
Disposez un cercle de pâte au fond du moule puis abaissez les bords.
Une fois la crème refroidie à 20‐25°C, garnissez le moule.
Vous pouvez également remplacer la crème pâtissière par de la confiture de cerises noires.
Allongez la pâte restante pour faire le « couvercle ». Veillez à bien refermer les bords afin que la garniture ne puisse sortir.
Dorez le dessus du gâteau avec du jaune d’œuf et le rayez à l’aide d’une fourchette.
Cuire à feu doux à 160°C pendant 35 à 40 minutes.
Qu’est-ce qu’on boit avec ça ?
Autant rester en terres du Sud-Ouest, en privilégiant un vin blanc plutôt jeune et tranquille, comme un jurançon, un saussignac, un haut-montravel ou un monbazillac (à consommer avec modération même si l’on se ressert une part de gâteau).
Décernée en février dernier, l’Appellation d’Origine Protégée vient récompenser le travail des producteurs et huiliers, héritiers d’un savoir-faire séculaire.
Olivier Sorondo 12 octobre 2021 – Dernière MAJ : le 12 octobre 2021 à 20 h 30 min
La noix et le Périgord partagent une histoire commune. Les nombreuses fouilles archéologiques menées dans les grottes de la vallée de la Vézère ont permis de retrouver la trace de coque de noix vieilles de 17 000 ans.
Tout au long des siècles, la noix s’impose comme un produit local incontournable. Outre sa consommation, elle sert de matière première à l’élaboration de l’huile, que l’on utilise notamment pour l’éclairage, la fabrication de savons et même comme monnaie d’échange.
Au 19e siècle, les producteurs lui redonnent sa valeur initiale, en misant sur la qualité. Car si l’huile de noix ne supporte pas la cuisson, elle se révèle précieuse dans l’univers de la gastronomie.
Une fabrication bien huilée
Au 20e siècle, une nouvelle variété, la franquette du Dauphiné, s’impose dans les noyeraies périgourdines, du fait de sa grande résistance. Néanmoins, elle ne signe pas la mort des autres variétés, à l’ancrage plus ancien : la marbot, la rustique corne et la grandjean.
Toutes ces noix dépendent de la même zone de production, comprise entre les départements de l’Aveyron, de la Charente, de la Corrèze, de la Dordogne, du Lot et du Lot-et-Garonne, où le climat apparaît particulièrement propice.
La conception de l’huile répond à un cahier des charges bien précis, jalonné de différentes étapes : le broyage, le chauffage (sauf en cas d’extraction à froid) et le pressage de la pâte de cerneaux.
Même si les techniques ont évolué au fil du temps, le procédé de fabrication repose toujours sur le savoir-faire des huiliers, transmis de génération à génération.
Deux méthodes d’extraction interviennent dans le processus. Extraite à froid, l’huile profite d’une véritable intensité aromatique, aux accents de mie de pain. Extraite à chaud, elle libère une saveur fuitée, de croûte de pain et de biscuit.
Elle accompagne à la perfection les salades (chicorée, pieds de pissenlits) et les légumes. Il convient toutefois de l’utiliser avec parcimonie, car son gout prononcé et volontaire peut à tout moment couvrir les produits qu’elle est supposée accompagner !
La juste récompense
Ingrédient indispensable des restaurants gastronomiques, l’huile de noix du Périgord semble aujourd’hui avoir trouvé sa juste place. Elle récompense le travail important mené par la filière depuis le début du 20e siècle.
Cette quête de qualité s’est traduite par l’obtention de l’AOC en 2018, qu’est venue compléter l’AOP en février 2021. Le label s’attache à des produits issus de fruits qui ont été récoltés, transformés ou élaborés dans une aire géographique déterminée. Il permet également de reconnaître un savoir-faire indéniable et des produits considérés comme les meilleurs dans leur catégorie.
Pour rappel, la noix du Périgord avait déjà bénéficié de l’AOC en 2004 et de l’AOP en 2004. La boucle est bouclée.
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Lancée par le Conseil départemental et la Chambre d’agriculture des Landes en 2001, l’association Qualité landes mène une mission plutôt agréable : assurer la promotion des produits agricoles du département, particulièrement réputé en matière de gastronomie.
Huit produits labellisés motivent la communication de l’association : le Floc de Gascogne, l’armagnac, l’asperge des sables des Landes, la volaille fermière des Landes, le canard fermier des Landes, le bœuf de Chalosse, le kiwi de l’Adour et les vins de Tursan. Tous sont dotés d’une reconnaissance officielle, qu’il s’agisse du Label Rouge, de l’IGP ou de l’AOC.
C’est l’occasion rêvée de proposer une multitude de recettes, déclinées sous la forme de fiches pratiques ou de vidéos explicatives. Comment résister à un millefeuille de bœuf de Chalosse à la mangue, à des brochettes de magret de canard fermier au poivre, aux ballotines d’asperge des sables ou à une mousse au kiwi de l’Adour ?
Le site se charge également d’apporter moult informations sur les produits locaux, à l’instar de l’AOP Tursan, qui implique 70 vignerons sur une surface de 400 hectares répartis auprès d’une quarantaine de communes.
Le pari semble en tout cas gagné. La page Facebook de l’association attire plus de 180 000 abonnés, charmés par la variété des recettes que permettent ces délicieux produits landais.
Produit depuis le 13e siècle, le vin du littoral landais a régalé les cours royales européennes avant de disparaître. Il renaît des sables depuis une vingtaine d’années, grâce aux efforts de vignerons passionnés.
Olivier Sorondo 18 septembre 2021 – Dernière MAJ : le 2 octobre 2021 à 18 h 29 min
Crédit photo : Domaine de la Pointe
De la nécessité de fixer les dunes
On le sait, la période gallo-romaine a permis la plantation des vignes, particulièrement dans le Sud-Ouest. Si le vignoble de Bordeaux s’est imposé de manière assez incontestable, la culture viticole a pu s’étendre aux contrées voisines.
Dans les Landes, les vins de Tursan et de Chalosse ont également rencontré un réel succès. Ils sont d’ailleurs servis à la table des empereurs romains. Au 12e siècle, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt permet leur exportation vers l’Angleterre. On les savoure même aux Pays-Bas.
Mais évoquer les vins landais sans mentionner le vin de sable n’offrirait qu’une vision incomplète de la production locale.
Dès le 13e siècle, les paysans et les pêcheurs du littoral, de Capbreton à Hossegor, réussissent à fixer les dunes grâce au vignoble. Les ceps enfouis dans le sable donnent naissance à de multiples racines, qui s’allongent parfois sur plusieurs mètres, contribuant ainsi à stabiliser le sol sableux.
Cette fixation s’avère nécessaire pour protéger les cabanes de pêche, les habitations et les cultures de l’ensablement.
Le vignoble des dunes se compose de petites parcelles, divisées par des palissades faites de genêts, de fougères et de brandes. Leur rôle est de préserver les cultures des vents dominants venus de l’océan, dont les embruns se révèlent particulièrement néfastes.
Face à un environnement aussi difficile, les vignes se doivent d’être basses. Les jeunes sarments ne reçoivent aucune taille. Les grappes reposent ainsi sur le sable chaud en plein été, qui contribue à leur maturité grâce à la réverbération du soleil.
La proximité de l’océan permet également de ne pas subir les gelées printanières.
L’influence des Templiers puis l’apogée commercial
Si la vocation première du vignoble a consisté à fixer les dunes, les habitants ont constaté que leur vin se révélait particulièrement bon. Grâce à la qualité de ses couleurs et la finesse de son bouquet, le vin de sable acquiert une jolie réputation.
Installé à Capbreton, l’Ordre des Templiers encourage sa production. La boisson est servie aux pèlerins de Compostelle, aux malades des hospices et sert bien sûr de vin de messe.
Les Templiers utilisent également leur réseau commercial pour vendre et diffuser le doux breuvage.
Il convient donc d’entretenir les vignes, au prix d’efforts importants. Les hommes étant en mer, le labeur revient aux femmes et aux enfants. La pente des dunes n’autorise pas le recours aux chevaux et charrettes. C’est en posant des corbeilles sur leur tête que les femmes transportent le sable, alors que les enfants se chargent de ramasser le guano, qui sert d’engrais aux cèpes.
Ce travail fastidieux finit par payer. Le vin de sable devient prisé, hors des limites du territoire landais. Au 17e siècle, le vignoble de Messanges permet la production de 300 000 litres de vin, destinés au pays, mais également exportés vers les capitales européennes.
Le vin rouge de Capbreton est servi à la cour du royaume de France, où il est particulièrement apprécié. On n’hésite d’ailleurs pas à le surnommer le « vin des rois ».
La qualité du vin de sable assure sa pérennité jusqu’au 18e siècle. Les villages de Capbreton, Vieux-Boucau, Seignosse, Messanges et Moliets contribuent à la production pour répondre à la demande. Les hivers rigoureux et la Révolution française perturbent les récoltes, sans jamais les condamner.
Selon l’anthropologue Frédéric Duhart, le vin de sable est considéré comme un produit précieux puisqu’une pièce de vin vieux de Capbreton vaut cent livres en décembre 1789.
Disparition et renaissance
Tout au long du 19e siècle, les crises de l’oïdium, du mildiou et du black rot ravagent le vignoble des dunes. La production s’effondre. Seules quelques vignes subsistent à Capbreton, Moliets, Lit-et-Mixe et Messanges.
Le vignoble des dunes à Capbreton au 19e siècle.
En 1895, le comte Clément d’Astanières, ancien hussard et sculpteur, s’installe à Capbreton, où il décide de lancer une exploitation agricole sur une trentaine d’hectares. Grâce à son initiative, les vignes repartent à la conquête des dunes, mais sur un périmètre limité.
Au 20e siècle, le vignoble, laissé à l’abandon, périclite. Sur le littoral, la construction du mur de l’Atlantique porte un coup fatal aux ceps, arrachés sans ménagement.
Les années 1950 marquent l’essor du tourisme. Les communes du bord de mer landais se transforment en stations balnéaires. Le vin de sable devient un souvenir, de plus en plus lointain.
Il faut attendre 1995 pour que les vignes se réinstallent dans le paysage sableux, à l’initiative de Nicolas Tison, exploitant du Domaine de la Pointe.
La modernité au service des traditions
L’ingénieur agronome, soucieux de respecter les pratiques séculaires de culture, décide de relancer la production à Capbreton, utilisant du compost pour la fertilisation et procédant à un désherbage mécanique. Il privilégie également le bio et la biodynamie.
La vigne la plus éloignée du littoral, à environ 800 mètres, profite des dunes pour se protéger du vent salé. Celle à proximité de la mer se destine à un vin classé IGP Landes.
Comme à l’époque, le soleil et la chaleur du sable facilitent la bonne maturité du raisin. Les vignes continuent d’être basses, en taille courte, selon une densité de plantation importante pour un rendement faible.
Les cépages sont similaires à ceux que les marins vignerons utilisaient : chenin et crouchen pour les blancs ; cabernet franc, cabernet-sauvignon, tannat pour les rouges.
L’environnement fragile et accidenté interdit bien sûr les vendanges mécaniques.
Toutes ces contraintes n’empêchent pourtant pas le vigneron de persévérer. Après avoir été triés, les raisins sont travaillés manuellement. Le vin est ensuite stocké dans de petites cuves afin de faciliter les interventions.
Le Domaine de la Pointe propose aujourd’hui deux cuvées, en blanc sec, rouge et rosé.
L’initiative de Nicolas Tison, qui a cédé son domaine en 2018, semble en avoir encouragé d’autres. Ainsi, Philippe Thévenin exploite depuis quelques années le domaine de Malecarre à Messanges. Son vignoble de 70 ares ne permet que de produire 650 bouteilles, mais le vigneron contribue à la renaissance du vin de sable, à l’image de la demi-douzaine d’exploitants installés sur le littoral. Le vignoble des dunes s’étend aujourd’hui sur 300 hectares, de Lit-et-Mixe à Capbreton.
Des vins appréciés et salués
Les efforts consentis ces dernières décennies semblent porter leurs fruits. Malgré sa production limitée et sa diffusion commerciale restreinte, le vin de sable recueille des critiques enjouées.
Selon le Figaro, « Les vins produits sont marqués dans l’ensemble par des arômes fruités, toujours présents. Les rouges présentent plus précisément des structures douces aux tannins mûrs et suaves, tandis que les rosés et blancs se démarquent par leur équilibre, leurs arômes fruités et leur fraîcheur. »
« Cette cuvée, Les pieds dans le sable du Domaine de la Pointe, est un vin blanc très intéressant alliant intensité aromatique, fraîcheur et vivacité ! bref c’est un blanc qui a du pep’s ! » écrit le site Simplement Vin. Impression confirmée par le site Les Grappes : « La robe est claire, limpide et brillante, le nez riche, frais et aromatique, la bouche vive et franche. On y retrouve des notes d’agrumes et de fruits exotiques. Il nous laisse une finale saline avec une jolie tension. »
Des vins originaux qui méritent d’être découverts – Crédit photo: Domaine de la Pointe
La production du domaine de Malecarre séduit également les professionnels : « Plantées dans les sables, quasi en bord de mer, les vignes de cabernet franc et sauvignon donnent naissance à ce rosé à la robe claire et délicate entre pétale de rose et peau d’orange. C’est sa grande fraîcheur qui lui confère tout son charme : au nez, à travers des parfums acidulés de citron nuancés de silex, et dans une bouche mêlée de fruits rouges et d’agrumes. » – Guide Hachette des vins.
Les amateurs et curieux, frustrés de ne pas trouver le doux nectar landais chez leur caviste, se tourneront vers les sites de vente en ligne, pour des tarifs compris entre 10 et 20 € la bouteille.
Un prix somme toute modeste pour découvrir un vin jadis considéré comme prestigieux.
Malgré son indéniable qualité gustative et toute la rigueur qui accompagne sa fabrication, le Floc de Gascogne souffre encore de sa trop timide notoriété. Et c’est bien dommage.
Olivier Sorondo 21 mai 2021 – Dernière MAJ : le 27 mai 2021 à 16 h 11 min
En matière d’apéritif, si le Pays basque revendique haut et fort le Patxaran, la Gascogne peut dégainer son célèbre Floc.
Conçue à partir d’une recette datant du 16e siècle, la douce boisson se limite, pendant trois siècles, à une consommation familiale et personnelle chez les paysans gascons.
Le Floc doit son nom à un vigneron gersois, poète dans l’âme. Ce dernier, sensible au parfum du noble breuvage, qui évoque la violette, la rose et la prune, choisit en 1954 de l’appeler « lou flòc de nouste ». Ces quelques mots occitans signifient littéralement « le bouquet de fleurs de chez nous ».
Il faut attendre l’année 1976 pour que les producteurs s’organisent à travers la création de leur syndicat et baptisent le produit Floc de Gascogne, plus commercial. C’est d’ailleurs cette année-là que le Floc part officiellement à la conquête de ses clients.
Mais qu’est-ce que le Floc au juste ? Il s’agit d’un vin de liqueur, de 16 à 18°, né de l’assemblage de deux tiers de jus de raisin et d’un tiers de jeune armagnac. Détail qui a son importance : les raisins et l’alcool doivent provenir de la même propriété.
Disponible en rouge (on peut dire rosé) ou blanc, il se sert bien frais à l’apéritif. On peut aussi le déguster en accompagnement de foie gras, de melons, de fromages virils ou de fruits délicats, comme la fraise. C’est enfin l’ingrédient précieux de nombreux cocktails.
Preuve de sa qualité et de la rigueur qui entoure sa conception, le Floc de Gascogne a reçu l’AOC en 1990 et l’AOP en 2009.
Un territoire limité, mais de multiples cépages
Le vignoble dédié au Floc reste d’une superficie somme toute modeste, puisqu’il ne dépasse pas les 900 hectares. Les vignes se répartissent entre le Gers (80%), les Landes et le Lot-et-Garonne. Ce territoire se compose du Bas Armagnac, de l’Armagnac Ténazère et du Haut Armagnac.
La région de production, qui jouit de l’Appellation Armagnac, profite d’un sol argilocalcaire et sableux ainsi que de coteaux à pentes douces. Il convient également de retenir l’influence du climat, aux influences océanique, continentale et méditerranéenne, propices à la maturation du raisin. Le Floc gagne ainsi en force aromatique et développe une touche fruitée qui contribue à sa réputation.
L’apéritif gascon tire sa richesse gustative de la diversité des cépages entrant dans sa composition. Ainsi, le Floc blanc est élaboré à partir de l’ugni blanc, synonyme de fraîcheur et de concentration des arômes ; du colombard, cépage emblématique de la Gascogne, aux saveurs de pamplemousse et de citron et enfin du gros manseng, plus rond à travers ses arômes de fleurs épicées et de fruits confits.
D’autres cépages blancs peuvent intervenir dans la réalisation du Floc, à l’instar de la folle blanche, du sauvignon, du sémillon ou du mauzac.
Le Floc rosé ne reçoit pour sa part que des cépages noirs. Le cabernet franc apporte des arômes de framboise, de cassis et de violette. Le cabernet sauvignon, utilisé pour concevoir les grands vins du Médoc, développe une vraie puissance tannique et diffuse des saveurs de fruits rouges, d’épices et même de poivron. Le merlot, peut-être la star des cépages, est réputé pour sa rondeur, due à son taux de sucre plus élevé. Il dégage des arômes de prune, de réglisse et de cerise noire. Enfin, le tannat, d’origine béarnaise, se distingue par sa vigueur et sa nervosité.
Les secrets de la fabrication du Floc
Au mois d’août, point de vacances pour le viticulteur gascon, même si les plages océanes ne sont jamais très loin. C’est la période idéale pour contrôler la maturité du raisin, qui doit être aromatique, sans pour autant développer trop d’acidité ni être trop sucré.
À l’automne, sitôt les vendanges terminées, les fruits rejoignent le chai, où le pressage est effectué sans délai afin d’éviter tout risque d’oxydation, néfaste aux arômes. Si le Floc blanc dépend d’un jus de raisin obtenu par une légère pressé, le Floc rosé résulte d’une opération d’éraflage, qui consiste à séparer le raisin de la rafle, c’est-à-dire la structure herbacée de la grappe. Le souhait est d’éviter les saveurs herbacées et d’atténuer le potassium de la rafle, coupable de réduire l’acidité.
L’éraflage précède le foulage, dont le but est de faire éclater les baies de raisin pour en extraire le moût. Avant la mécanisation, on foulait les raisins au pied !
Les étapes suivantes de l’élaboration s’entendent pour les deux Flocs. Il s’agit d’abord de procéder au mutage, consistant à placer le moût de raisin au fond de la cuve à l’abri de l’air et à y ajouter délicatement l’armagnac distillé l’année précédente.
Issu de la même propriété, l’armagnac constitue un tiers du mélange. Son ajout interrompt le processus de fermentation du raisin et préserve sa fraîcheur.
Afin de marier moût et armagnac, le brassage se poursuit encore quelques jours.
La période de repos intervient ensuite, jusqu’au début du printemps. Le Floc est conservé dans un chai, afin qu’il puisse développer tous ses futurs arômes.
Les dernières opérations peuvent alors être effectuées : soutirage, collage, filtration et stabilisation.
En mars, les producteurs conditionnent enfin leur précieux breuvage, uniquement en bouteilles, comme l’impose l’AOC.
La toute dernière étape est celle de l’agrément. Les producteurs ont en effet mis en place une commission en 1990 afin de tester et de juger le Floc avant sa commercialisation. Le souhait est de proposer aux clients un produit de qualité.
Enfin le moment de la dégustation
Profiter pleinement du Floc de Gascogne suppose de suivre quelques petites règles.
D’abord, on évite de le ranger dans sa cave en considérant que son vieillissement lui apportera davantage de saveur. Le Floc se consomme jeune, lorsque les arômes frais du raisin s’expriment en toute franchise.
Ensuite, on ne le sert pas à température ambiante. Selon les producteurs, un bon Floc se déguste entre 5 et 7°C. C’est de cette manière que sa finesse aromatique caresse le palais et suscite le plaisir. Après ouverture, il se conserve quelques semaines au réfrigérateur.
Les puristes ou les amoureux de la Gascogne ne manqueront pas de procéder à un examen visuel. Le Floc blanc laisse voir différentes gammes de jaune, selon les cépages entrant dans sa composition. Pour le Floc rosé, la teinte apparaît violacée, parfois brune, en fonction là aussi des cépages et de la période de macération.
Des larmes bien grasses – Crédit photo: Alliance française de Wuhan
Avant la dégustation, l’examen olfactif apporte quelques indices précieux et agréables. Au tout début de sa maturation, c’est surtout l’armagnac qui impose ses arômes. Progressivement, les saveurs se complexifient pour donner lieu, s’agissant du Floc rouge, à un petit univers de fruits rouges, comme la fraise, le cassis et la mûre. Le Floc blanc laisse planer pour sa part des arômes de violette, de poire, de coing et même de miel.
Il est enfin temps de déguster le breuvage gascon. À la différence des vins liquoreux, le Floc profite d’un très bon équilibre en sucre et d’une faible acidité. Généreux et subtil en bouche, il apporte une vraie fraîcheur et suscite un plaisir immédiat.
Pour Myriam Darzacq, du Domaine de Paguy à Betbezer-d’Armagnac, aucun doute n’est permis à ce sujet. « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui, après dégustation, n’ait pas aimé ça ! » confie-t-elle à Julie Ducourau du journal Sud-Ouest (25/07/2017).
La personnalité d’un terroir
Les 150 producteurs du Floc de Gascogne forment un groupe soudé, soucieux de la qualité de leur produit. La mise en place de leur propre commission d’agrément témoigne de cette volonté d’excellence, que soulignent d’ailleurs l’AOC et l’AOP.
En matière économique, l’organisation de la filière a permis de dessiner une alternative à la baisse de la production d’armagnac, divisée par trois depuis les années 1990. Aujourd’hui, les ventes annuelles de Floc avoisinent le million de bouteilles. Elles pourraient certainement être augmentées en renforçant la notoriété du produit et sa distribution commerciale, notamment dans les grandes surfaces.
L’Académie des Dames du Floc de Gascogne, créée en 1980, pourrait peut-être contribuer à une meilleure communication. Composée d’amatrices vêtues d’une jolie cape verte, l’Académie participe à de nombreuses manifestations pour assurer la promotion du Floc, avec toujours la même devise : « les capes, les bouteilles et en avant ! »
Surtout consommé à l’apéritif, le Floc de Gascogne peut très bien accompagner de nombreux produits du Sud-Ouest, à l’instar du foie gras, du melon de Lectoure et de délicieuses pâtisseries. Il est également utilisé en cuisine pour réaliser un fond de sauce ou déglacer les sucs de viande.
Enfin, de nombreux établissements l’utilisent comme ingrédient incontournable de cocktails, à qui il apporte fraîcheur et délicatesse aromatique.
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