Nature et paysages du Lot-et-Garonne

Nature et paysages du Lot-et-Garonne


« Entre Agen et Marmande, c’est un paysage aussi beau que l’Italie; le charme des coteaux, la couleur de la terre, le costume, jusqu’au langage, évoquent les rives de Florence et de Sienne. Le Lot-et-Garonne est la Toscane de la France. » Stendhal

Glou glou

Comme son nom l’indique, le Lot-et-Garonne est un département ouvert aux cours d’eau, assez nombreux sur le territoire si on y ajoute les rivières Baïse, Gers, Dropt, Séoune…

Si ces jolis cours d’eau façonnent le paysage, contribuent à lui donner son cachet particulier et constituent une richesse agricole, ils suscitent également une crainte bien légitime lorsque les inondations font leur apparition. La Garonne est, à ce titre, une maîtresse indomptable. Bien chargé en eau des Pyrénées et du Massif central, gonflé par le Lot en amont, le fleuve, dont le lit mineur souffre de son étroitesse, donne régulièrement naissance à des crues importantes, notamment lorsque la fonte des neiges a été massive dans les zones montagneuses. Le Lot n’épargne pas non plus son proche environnement, principalement au niveau de la vallée de Castelmoron-sur-Lot.

Ces débordements réguliers ont poussé les hommes à bâtir leurs cités sur la rive droite, en prenant soin d’anticiper une certaine hauteur de construction, comme l’illustrent les communes de Port-Sainte-Marie, Aiguillon et Tonneins. De nombreuses fermes ont quant à elles été construites sur des monticules.

Cette abondance d’eau apparaît être un argument de premier ordre lors des chaudes journées d’été. Grâce à un vaste système d’irrigation, les agriculteurs peuvent prétendre assurer une riche production sans trop de contraintes, asseyant de fait la réputation du Lot-et-Garonne comme territoire agricole incontournable du pays.
Il serait pourtant hasardeux de réduire le département à une seule et vaste exploitation. Moins populaire que sa voisine la Dordogne auprès des touristes, le Lot-et-Garonne affiche de solides arguments de séduction, tant par la beauté de ses paysages, l’authenticité de ses villages que par la richesse des pays qui le composent.

L’Agenais

À proximité d’Agen, coincé entre la Garonne au Sud et le Lot au Nord, le pays de Serres offre des paysages composés de plateaux calcaires donnant naissance à de petits ravins, de vallons encaissés et d’échines. Nombreuses y sont les petites exploitations agricoles à l’architecture périgourdine ou quercynoise. On y découvre aussi de fort jolies chapelles romanes, parfois isolées.

L’environnement du pays de Serres est propice à la faune, parmi laquelle il n’est pas rare d’observer le circaète (ou aigle des serpents), qui revient chaque année, le faucon crécerelle, le hibou petit duc ou, chez les mammifères, la genette, ce petit carnivore ô combien discret, habitué des bois, que l’on confond parfois avec un chat sauvage.

Plus au nord de la capitale lot-et-garonnaise, le pays du Brulhois (ou Bruilhois) affiche une multitude de vallons, terrasses et coteaux, emplacements parfaits pour les vignes dédiées aux cépages de tannat, de malbec, de fer servadou et d’abouriou dont on tire le vin noir, dû à sa robe très sombre.

L’Albret

À l’ouest du département, sur la rive gauche de la Garonne, coincé entre la Gironde et les Landes, le pays d’Albret présente un contraste paysager entre les collines de la région de Nérac, dédiées à la culture céréalière, et le plateau landais, qui prolonge la forêt de pins maritimes des Landes de Gascogne.

Nous sommes ici au cœur d’un territoire dédié aux plaisirs du palais, où pousse la vigne, où cacardent les oies, où grandissent les veaux sous leur mère et où volent les palombes.

La longue histoire de l’Albret se rencontre à travers ses cités et bastides (Nérac, Lannes, Vianne, Barbaste), ses châteaux, ses anciennes tanneries, ses moulins fortifiés et églises romanes.

C’est une invitation franche à remonter le temps et découvrir une terre toujours un peu secrète, dont on peut s’imprégner en naviguant sur la Baïse, sans trop de bruit.

Le Marmandais

Au nord-ouest du département, non loin du pays de l’Entre-Deux-Mers en Gironde, le Marmandais revendique une riche tradition vinicole, la vigne occupant les coteaux depuis l’époque romaine. On y cultive aussi la célèbre tomate de Marmande, des fraises, melons, prunes d’ente et autres fruits, les vergers étant très nombreux sur cette terre fertile.

La beauté du Marmandais repose sur la diversité de ses paysages, qui passe de la plaine de la Garonne aux vastes étendues de la forêt landaise. C’est aussi la ribambelle de petites communes installées le long du fleuve, chacune exhibant ses atouts architecturaux, comme les maisons à colombage de Clairac, la façade des quais de Tonneins, le château péager de Couthures-sur-Garonne…

Vallée de la Garonne vers Cocumont au lever du soleil – Crédit photo : Guillaume Conan – CC BY-SA 2.5

Le pays du Dropt

C’est tout au nord du Lot-et-Garonne que se situe le pays du Dropt, ou plutôt la vallée du Dropt, au relief peu marqué, non loin de la Guyenne et du Périgord. On connaît ce petit pays essentiellement grâce à ses vignobles de Duras, qui façonnent le paysage. Il faut néanmoins parler des vastes forêts de châtaigniers, où les amateurs traquent des cèpes, des bois et des nombreux vergers.

Le paysage est reposant, incitant à la promenade, avec l’ambition de découvrir les nombreux villages moyenâgeux, où se tiennent chaque semaine des marchés assez extraordinaires. Les petits producteurs locaux proposent des pâtés faits maison, des poulets dodus et fermiers, des champignons à peine cueillis ou des écrevisses gesticulantes.

La découverte du pays du Dropt doit impérativement se faire à pied ou sur la selle d’un bon vélo afin de s’arrêter à tout moment devant les vieilles maisons à empilage, fort nombreuses dans la région, dans les petites rues des bastides, face aux pigeonniers restaurés. C’est aussi l’occasion de rencontrer les gens du coin ou de marquer une (longue) pause à la terrasse ensoleillée d’un bistrot typique, jamais loin d’un château ou d’une église remarquable.

Le pays du Lot

La région présente elle aussi un éventail de paysages très diversifiés. Des villages tels que Pujols et Penne d’Agenais ont été édifiés au sommet des coteaux, dominant la rive gauche du Lot.

Au Nord de la rivière, les bastides, à l’image de Monflanquin, forment un horizon vallonné, duquel se détachent les silhouettes des églises ou des tours d’angle.

La vallée du Lot est quant à elle réputée pour ses nombreuses cultures fruitières, en particulier celle de la prune d’ente, également commercialisée sous la forme du pruneau d’Agen après séchage.

La faune et la flore

La moyenne Garonne, entre les terrasses du fleuve et la plaine inondable, reste un lieu fréquenté par les poissons migrateurs, comme la lamproie marine, la truite de mer, la grande alose ou encore le saumon. On y trouve également des anguilles et des esturgeons, de taille moins impressionnante qu’il y a un demi-siècle.

En outre, le département offre plus de 500 hectares ouverts à la pêche, où les amoureux de la canne peuvent chatouiller la tanche, la carpe, le brochet et le goujon.
Plus au sec, les forêts de chênes sont habitées par quelques mammifères, dont des sangliers, des lièvres et lapins, des cerfs et chevreuils et même des visons d’Europe.
En levant les yeux, et selon les saisons, on peut apercevoir différentes espèces migratrices, à l’image du pigeon ramier, que l’on appelle palombe dans le Sud-Ouest, et dont la chasse, en octobre, suscite généralement une explosion de RTT ou de congés maladie.

Les autres oiseaux notables sont le héron cendré, de plus en plus sédentaire, le balbuzard pêcheur et le milan noir, un rapace qui considère le Lot-et-Garonne comme une bonne terre de drague.

Enfin, la région gasconne sait se faire belle en exhibant une grande variété de plantes et fleurs gracieuses, à la faveur de l’éclectisme géologique (argile, sable, calcaire…).

Pied de Tulipe œil de soleil (Tulipa agenensis) – Crédit photo : Zachi Evenor and MathKnight – CC BY 3.0

Il convient de citer en premier lieu une star locale, la tulipe agenaise, d’une belle couleur écarlate, introduite par les Romains il y a plus de 2 000 ans. Surnommée « l’œil du soleil » en raison de l’étoile jaune en son cœur, la fleur est malheureusement menacée d’extinction, à cause des pratiques horticoles et de la cueillette sauvage. Elle est aujourd’hui protégée.

Parmi les autres fleurs, les orchidées sauvages ravissent les botanistes et les amateurs de belles choses. On trouve des hybrides assez précieux, comme l’orchis pourpre, qui aime pousser sur les coteaux calcaires et les pelouses sèches. Nous pouvons aussi citer l’orchis brûlé ou l’ophrys mouche.

Les chênes pédonculés, très nombreux il y a quelques siècles, ont subi un rabotage de leur superficie, au profit des exploitations agricoles et des pins maritimes. Ils résistent cependant et continuent de former de vastes forêts, associés par exemple aux chênes sessiles, comme cela est observable dans la région du Mas-d’Agenais.

Les territoires du département se composent de nombreuses autres variétés d’arbres, tels le châtaignier, l’érable de Montpellier, le saule blanc et le genévrier.

Éléments d’histoire du Lot-et-Garonne

Éléments d’histoire du Lot-et-Garonne


C’est dans le Lot-et-Garonne que l’on trouve l’une des rares tribus gauloises, les Sotiates, à avoir eu le courage de combattre frontalement les redoutables armées de César. Astérix ne serait-il pas un peu Aquitain ?

Un passé très ancien

La présence de l’homme est avérée depuis fort longtemps en terres lot-et-garonnaises. Les fouilles archéologiques menées à l’est du département, dans les vallées de la Lémance et de la Lède, ont révélé des restes humains et des fragments d’outils datant du Paléolithique, notamment à la grotte de Monsempron.

L’abri du Martinet, à Sauveterre-la-Lémance, découvert en 1922 par Laurent Coulonges, renferme un habitat du Magdalénien final, au sein duquel une centaine de pointes de silex, des outils en os, des poinçons et des lissoirs ont été retrouvés.

L’Agenais s’impose à l’âge du Bronze (-7000 à -500) comme une terre d’échanges des savoirs techniques entre peuplades continentales et atlantiques.

Bien des siècles plus tard, ce sont les tribus gauloises qui occupent le territoire, parmi lesquelles les Nitiobroges, d’origine celte, installés dans la région d’Aginnum (Agen). Leur existence est prospère.

Au sud de la confluence du Lot et de la Garonne, les Sotiates, protobasques, sont parfaitement bien organisés. Ils ont bâti leur site fortifié à l’emplacement de l’actuelle commune de Sos, battent leur monnaie et sont considérés comme de redoutables guerriers.

Quelques vestiges de la période celtique sont encore visibles, notamment des dolmens et des peulvens non loin de Tournon et d’Agen ou encore les ruines d’un temple druidique dans la région de Nérac.

Drachme « à la tête bouclée du Causé » frappé par les Sotiates – Crédit photo: Par cgb — CC BY-SA 3.0

Lors de l’invasion romaine, menée en 56 av. J.-C. par le général Publius Crassus, les Sotiates sont l’une des rares tribus d’Aquitaine à opposer une vive résistance à l’ennemi. Malgré leur courage, ils ne parviennent pas à remporter la bataille contre les légions romaines, qui ont reçu l’aide des Nitiobroges, et doivent battre en retraite dans leur oppidum. Ils font preuve une nouvelle fois d’héroïsme en organisant une résistance désespérée. Leur bravoure est d’ailleurs mentionnée dans la Guerre des Gaules de Jules César himself.

Peut-être pris de remords pour leur collaboration un peu hâtive avec les Romains, les Nitiobroges décident de soutenir Vercingétorix et envoient leur cavalerie combattre à Gergovie.

Comme partout en Aquitaine, la Pax Romana s’accompagne de transformations importantes et d’une meilleure organisation. Des voies sont construites le long de la Garonne, d’autres permettent de relier Agen à l’Atlantique et à la Méditerranée ou encore de placer Astaffort sur la route qui part des Pyrénées jusqu’à Périgueux.

Le commerce se développe, tout comme les cités. Certains historiens considèrent qu’Agen était la deuxième ville d’Aquitaine, riche d’un théâtre, d’un amphithéâtre et de superbes villas. Le Mas d’Agenais profite de son statut d’étape fluviale et devient une cité prospère, réputée pour son marché.

Les rives de la Garonne, du Lot et de la Baïse accueillent des demeures prestigieuses, à l’image de la villa Bapteste à Moncrabeau, composée d’une quarantaine de pièces, de deux cours intérieures (dont l’atrium), d’une écurie et même d’un oratoire. On trouve un bâtiment tout aussi remarquable à Castelculier, dont la superficie dépasse le millier de mètres carrés. De quoi rendre le séjour de belle-maman plus supportable. C’est aussi ça, la Pax Romana.

La fertilité du sol justifie la construction de vastes exploitations agricoles et contribue grandement à la prospérité du territoire.

Enfin, si les voies romaines ont facilité le transport des hommes et des marchandises, elles ont aussi permis de diffuser les fondements du christianisme, qui se développe dans les campagnes jusqu’au VIIe siècle. Un siège épiscopal s’établit à Agen dès le IVe siècle, placé sous la tutelle de l’évêque Phébade, ce dernier menant combat contre le pouvoir politique romain et surtout contre l’arianisme (thèse émise par le théologien alexandrin Arius, supposant que le fils de Dieu est avant tout humain, même s’il dispose d’une part de divinité).

À l’instar des autres départements de l’Aquitaine, les invasions barbares vont quelque peu bousculer la vie tranquille du Lot-et-Garonne. Les Barbares sont les premiers à venir détruire et brûler les belles villas, mais comme ils sont sympas, ils en laissent quelques-unes à leurs successeurs, que sont les Vandales, les Suèves ou encore les Wisigoths. Ces derniers s’installent durablement dans le Sud-Ouest, jusqu’à ce que Clovis ne les en chasse définitivement en 507.

L’histoire est parfois un peu confuse

Après quelques siècles de troubles, de rattachements au royaume de Neustrie ou à celui de Bourgogne, de mainmise des Carolingiens ou d’invasion sarrasine (732), l’Agenais profite de la reconstitution de l’Aquitaine par Charlemagne après la bataille de Roncevaux pour s’établir comme un comté indépendant à part entière, placé sous la gouvernance d’Ermiladius. Les Normands empruntent les voies navigables du territoire et sèment mort et destruction, peut-être soutenus par le roi Pépin, ce dernier n’acceptant pas que le comté ne soit pas soumis à l’Aquitaine.

Du XIIe au XIVe siècle, il faut être solidement accroché à l’actualité locale pour savoir à qui appartient le comté, rattaché au gré des guerres de conquête aux comtes de Toulouse, à la couronne de France ou aux rois d’Angleterre.

En 1317, les intrigues papales et la perte de pouvoir des notables locaux provoquent une césure entre le diocèse d’Agen et l’abbaye de Condom, érigé en évêché, entretenant une vraie confusion administrative et judiciaire.

Quelques années plus tard, en 1323 précisément, l’incident de Saint-Sardos va constituer le point culminant des tensions entre Anglais et Français et allumer la mèche de la guerre de Cent Ans. Depuis le règne de Philippe le Bel, roi de France, les ducs d’Aquitaine sont considérés comme des vassaux, et surtout pas comme les représentants de la couronne anglaise. Cette nouvelle influence française est très, très mal perçue par les Plantagenêt, qui estiment que la Gasconne est leur terre pleine et entière.

C’est donc avec un certain énervement qu’ils apprennent la volonté de construire une nouvelle bastide, à proximité de Montpezat. Le 13 octobre 1323, un envoyé de Charles IV érige un mât portant la cotte d’armes du roi de France. Quand même très remonté, le seigneur de Montpezat détruit le chantier et donne l’ordre de pendre le pauvre messager au mât.

En réponse, le roi de France confisque le fief et envoie son oncle Charles de Valois occuper le pays. Les territoires sont conquis assez facilement, les garnisons anglaises n’offrant qu’une faible résistance. Après avoir confisqué l’Agenais, Charles IV décide néanmoins de laisser aux Anglais une grande partie de leur possession. Il n’en demeure pas moins que l’épisode de Saint-Sardos a contribué à nourrir la future de guerre de Cent Ans, qui allait éclater quelques années plus tard, en 1337, poussant les Anglais à quitter définitivement les contrées du royaume de France, au terme de la bataille de Castillon en 1453.

L’Agenais rejoint la couronne de France en 1472, à la mort de Charles de Valois, frère de Louis XI et duc de Guyenne.

Nérac entre dans l’Histoire de France

Le pays retrouve enfin la quiétude et une certaine prospérité. De nouveaux habitants, originaires du Saintongeais, du Poitou, mais aussi et surtout d’Italie, viennent s’y installer. Les Italiens, en partie composés de prélats posent leurs bagages au siège épiscopal et promeuvent les nobles valeurs de la Renaissance, particulièrement bien accueillies à Nérac, cité où Marguerite de Navarre, sœur de François Ier et mère de Jeanne d’Albret, a installé une cour et encouragé l’expression culturelle.

Le château de Nérac accueille, parmi les nombreuses personnalités sensibles aux arts, aux lettres et à la religion, des humanistes acquis aux idées de la Réforme, à l’image de Clément Marot, Jean Calvin et Théodore de Bèze.

Château de Nérac – Crédit photo: Thomas Conté – Flickr

Doucement mais sûrement, le protestantisme, encouragé par le château de Nérac, se diffuse parmi la population, notamment auprès des professeurs et des milieux judiciaires. En 1525, les premières condamnations au bûcher sont décidées à Agen, mais cette vague de répressions ne met pas un terme au développement de la Réforme. En 1561, après que les protestants se soient organisés et pris les armes, la guerre civile éclate. De nombreux massacres sont commis de toutes parts, des remparts détruits, des maisons brûlées.

Jeanne d’Albret, fervente partisane de la Réforme, n’aide pas à apaiser la tension, soutenue par son fils, Henri de Navarre, pourtant né et baptisé catholique mais sensibilisé dès son plus tendre âge à la doctrine calviniste.

Dans un souci de retrouver une certaine sérénité, la reine mère, Catherine de Médicis, organise le mariage de sa fille Marguerite de Valois, catholique, et d’Henri de Navarre le 18 août 1572. Entre les deux tourtereaux, il ne semble pas que ce soit l’esprit Meetic – #I love your imperfections- qui prédomine.

Cela tombe plutôt bien en fait, car l’actualité s’emballe. Quelques jours après le mariage, le 24 août, survient la terrible nuit de la Saint-Barthélemy, au cours de laquelle plus de 3 000 protestants sont massacrés à Paris. Cet évènement tragique suscite la rupture entre la cour et les Albret. Henri est contraint de se convertir au catholicisme et il est assigné à résidence à la cour de France. Le 5 février 1576, il parvient à s’enfuir et à gagner l’Agenais puis le château de Nérac.

Sa belle-maman (qui est quand même la reine mère) et sa femme le rejoignent en octobre 1578. Le voyage n’est pas seulement sentimental. Catherine de Médicis souhaite rencontrer les chefs protestants et trouver un compromis, signé l’année suivante à Bergerac. Ainsi, les protestants obtiennent onze places de sûreté au terme de ce que l’on appelle les conférences de Nérac.

Pour Henri, malgré ses déchirements entre valeurs protestantes et impératifs catholiques, la vie à Nérac est plutôt agréable. Chasse, jeux, sorties, soirées en boîte (à l’époque, on parlait de bal) dictent ses journées. Le futur roi a pris l’habitude de papillonner de-ci de-là, additionnant les conquêtes et les déclarations d’amour éternelles en fin de soirée alcoolisée. Il ne pense même pas mettre un terme à ses légères aventures malgré la présence de son épouse à ses côtés. Cette dernière prend la mouche et réserve une place TGV (Transport Garanti aux Valois) en direction de Paris.

En 1589, Henri devient roi de France, reconnu par son cousin et beau-frère Henri III, sur son lit de mort. Après quelques années d’apprentissage du pouvoir, de batailles gagnées et d’une réelle volonté d’apaiser les tensions entre protestants et catholiques qui fragilisent le royaume, il promulgue l’Édit de Nantes, rédigé à Nérac, en 1597. L’Agenais, mais aussi d’autres terres du royaume, renoue avec des périodes plus apaisées, hélas de courte durée puisque les agitations reprennent dès 1621, sous le règne de Louis XIII.

La révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV en 1685 pousse près de 10 000 protestants à fuir le territoire de l’Agenais et à s’installer en Hollande, terre d’accueil. Ces départs massifs vont contribuer à appauvrir différentes cités, comme Nérac, Tonneins et Clairac, où les protestants occupaient des postes clés de l’économie locale.

Le promeneur peut parfois apercevoir aux abords de son chemin des cyprès isolés. Ces arbres ont été plantés pendant la répression à proximité des tombes des protestants, les cimetières catholiques leur étant interdits. Les cyprès n’avaient pas vocation à rendre hommage aux défunts, mais à indiquer au paysan la présence d’une tombe afin d’éviter que la charrue ne détruise l’endroit.

Prospérité et Révolutions

Après ces siècles d’invasions, d’occupation, de guerres, de destructions et de mort, le territoire entame le XVIIIe siècle sous de meilleurs auspices (hospices, serait-on tenté d’écrire).

Le canal des Deux-Mers, ouvert en 1681, vient enrichir et compléter les cours d’eau du futur département, voies de communication fondamentales pour acheminer vers l’Atlantique et la Méditerranée les denrées agricoles, diverses et nombreuses en ces terres fertiles.

De grandes manufactures, essentiellement dédiées au textile, font leur apparition. Certaines fabriquent les voiles destinées aux navires du port de Bordeaux, qui assurent une activité commerciale importante pour l’ensemble du royaume de France.

En 1790, alors que la Révolution chamboule quelque peu l’organisation du pays, le département du Lot-et-Garonne voit le jour, dont les contours sont finalement assez proches de l’Agenais. Quelques coups de rabot interviendront néanmoins en 1808, lors de la création du Tarn-et-Garonne, qui récupère les cantons de Montaigu, Valence d’Agen et Auvillar.

Le département échappe à l’essor économique né de la révolution industrielle, comme bon nombre de territoires méridionaux, en raison notamment de l’absence de ressources naturelles (fer, charbon…) nécessaires au fonctionnement des premières usines. L’industrie du textile entame son déclin et seules les productions agricoles semblent résister au nouvel ordre économique, ce qui n’empêchera pas un exode rural à la seconde moitié du XIXe, après l’arrivée du blé américain sur le territoire, terrible concurrence, et surtout l’apparition de la crise du phylloxéra.

Le festival international des Menteurs de Moncrabeau

Richesses du Sud-Ouest Traditions Lot-et-Garonne

Le festival international des Menteurs de Moncrabeau


À Moncrabeau, avoir le nez qui s’allonge n’est pas forcément source de réprimande. Ce serait au contraire un signe de respect, d’intégration et, oui, disons-le, d’admiration.

Crédit photo: Académie des Menteurs

Près de trois siècles d’approximation et d’exagération

L’adorable village gascon niché à la frontière du Lot-et-Garonne et du Gers a en effet la réputation d’être la capitale mondiale des menteurs, et ne s’en cache pas (pourquoi le devrait-il, après tout ?). L’affaire, si elle prête à sourire, est sérieuse. L’Académie des Menteurs veille au grain, ou plutôt au respect de la tradition qui, mine de rien, peut afficher ses presque trois siècles d’histoires incroyables, de témoignages singuliers, d’affirmations grandiloquentes et de confessions à la limite de la sincérité.

La tradition est née en 1748, comme l’atteste la « pierre de vérité », qui trône au-dessus du fauteuil des menteurs. Habitués à se réunir sous la halle pour discuter de tout et de rien, les bourgeois aimaient se raconter les histoires du quotidien et les indiscrétions de voisinage, commentaient les travaux agricoles, discutaient la vie politique locale.

Comme cela est souvent le cas lorsqu’on se retrouve régulièrement entre amis, et en l’absence d’une actualité originale ou riche en évènements, la conversation finit par tourner un peu en rond. Alors, dans le souci de rendre leur récit digne d’intérêt et de conserver l’attention de leur auditoire, les habitants de Moncrabeau commencèrent par exagérer quelques passages de leur histoire. Puis quelques autres. La surenchère aidant, ils introduisirent des éléments narratifs inhabituels. Puis quelques autres. Après quelque temps, certains s’aperçurent à leur grande surprise que les trois quarts de leur récit étaient sortis de leur imagination, comme ça, presque naturellement, provoquant un grand intérêt et un certain amusement de l’assistance.

La tradition des Menteurs venait de naître à Moncrabeau. Et Moncrabeau venait d’entrer dans l’Histoire.

L’Académie des Menteurs ? Une institution.

Aussi séculaire soit-elle, la tradition doit être respectée et protégée. C’est le rôle bienveillant de l’Académie des Menteurs. Composée de quarante membres, habillés d’un costume rouge et blanc qui impose le respect, d’une parité parfaite, elle veille à la pérennité et au rayonnement des menteries, qui dépasse depuis déjà longtemps les simples limites de la Gascogne ou du Sud-Ouest.

Car il n’est pas question ici de parler seulement de mensonge, ce serait faire offense à tout le village de Moncrabeau, mais de menterie. La différence est subtile, et pourtant fondamentale. Selon le site officiel de l’Académie, une « menterie est un savant mélange de vérité, mensonge et humour, [qui] doit durer de cinq à six minutes et doit être entendue par tout public. Ce n’est en aucun cas une tribune politique, ni confessionnelle. On pourrait même donner le terme de Gasconnade à la définition de la menterie ».

Selon la tradition locale, qui s’appuie sur une observation très juste, les dentistes, journalistes, avocats et politiciens reçoivent automatiquement le brevet de menteur et sont considérés derechef comme des citoyens d’honneur, ce qui donne encore plus de force à la réputation de Moncrabeau.

Toujours active, l’Académie organise tout au long de l’année différents évènements (loterie, banquets, concours de belote…) pour se rappeler au bon souvenir de chacun et, accessoirement, assurer un minimum de trésorerie nécessaire à son fonctionnement et à l’organisation du festival international des Menteurs chaque été.

Le plus grand festival du monde, parole de Gascon

Cela fait déjà plus de quarante ans que le Festival des Menteurs de Moncrabeau est invariablement organisé le premier dimanche d’août. Ici, point besoin de stars de cinéma ou d’éphémères vedettes de la télé-réalité pour susciter l’intérêt du public puisque c’est le thème même du festival que l’on vient applaudir.

« Cette délectation du palais et du plat de la langue à l’exagération, la fable, la forfanterie, démontre annuellement la substance profonde de notre esprit, qui déroute les Américains, intrigue les Japonais et désole les Anglais. Il trouve sa couleur dans la subtile différence qui sépare la tromperie de la menterie. Pour mesurer l’épaisseur de la nuance, l’expérience nécessaire se compte en années, voire en générations, ravivées par le sel distribué aux princes candidats par l’Académie de Mont des Chèvres. Et quelle consécration, quel symbole quand un de nos conseillers généraux fut sacré roi puis roi des rois dans cet autre pays de la relativité » écrit avec talent Bruno Rapin dans le livre « Lot-et-Garonne, de l’an mil à 2050 » (éditions Fayard).

Le protocole est simple et immuable. Après la messe des Menteurs, qui ouvre officiellement le concours, chaque candidat vient s’asseoir sur le fauteuil de pierre, installé sur la place du village. Faisant face aux membres de l’Académie et au public, il dispose au maximum de six minutes pour déclamer son histoire abracadabrantesque, qui doit cependant être perçue comme la plus vraisemblable possible.

Ensuite, chaque Académicien, équipé d’une salière et d’une cuillère en bois, « attribue de deux à dix cuillérées de sel en fonction de sa menterie ; deux petits pages recueillent le sel auprès du jury à l’aide d’un sac de jute qui est remis aux Ingénieurs des poids et mesures pour la pesée », comme l’explique le site officiel de l’Académie.

Le candidat dont la menterie a suscité la plus grosse quantité de sel est désigné Roi des Menteurs. Il est à noter que ce système de vote bat à plates coutures tous les appareils électroniques de dernière génération puisque la désignation du meilleur menteur peut parfois se jouer au gramme près !

La Reine ou le Roi prend alors place sur une chaise à porteurs afin de recevoir les félicitations et les sifflets d’admiration de la foule tout le long des ruelles du village. Les autres candidats peuvent se consoler un peu en recevant le brevet de menteur qui leur permet de « travestir la vérité en tous temps et en tous lieux ! ». C’est pas rien.

En 2014, la Québécoise Yolaine Carrier a été couronnée (1 610 grammes de sel). Serveuse de son état au bar Le Sacrilège du quartier Saint-Jean de Québec, elle s’est appuyée sur les brèves de comptoir de son établissement pour raconter au public médusé qu’un bateau de transport touristique, navigant sur le Saint-Laurent, propose à ses clients d’observer un animal marin mi-homme, mi-phoque lorsqu’il n’est pas possible d’apercevoir des requins ou des baleines.

En 2015, le Néracais Pierre Gallio a retrouvé la chaise à porteurs pour la cinquième fois (1 510 grammes contre 1 400 grammes en faveur de son dauphin). L’homme a conquis son auditoire en détaillant sa prise de fonctions municipales à la tête de la petite commune Aquisou Bien, en suivant deux objectifs majeurs : « Faire passer la LGV dans la commune sur l’ancienne voie ferrée et implanter un aéroport qui s’appellera Notre-Dame-des-Glandes. »

L’Académie des Menteurs de Moncrabeau peut s’appuyer sur la participation fidèle de la Royale Moncrabeau de Namur, qui envoie chaque année des représentants dans le Lot-et-Garonne et vient au complet tous les deux ans. Les ambitions internationales du festival passent aussi par la future coopération avec les Italiens de la ville de Piastre, « contrée où une autre académie d’affabulateurs vénère Pinocchio », comme le précisent Michael Ducousso et Paulette Guerini dans La Dépêche du Midi (3 août 2015).

Le Festival international des Menteurs est surtout l’occasion de retrouver le goût des mots, de se laisser surprendre par des affirmations définitives qui laissent la place au doute, de redécouvrir les instants un peu magiques d’une veillée, qui rassemblait jadis les habitants du village lorsque les écrans n’existaient pas.


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Pratique :

Adresse et contact : Académie des Menteurs, Rue Cocu Saute 47600 Moncrabeau – Tél. 05 53 97 32 25 – Web: www.academiedesmenteurs.fr
Accès : Village de Moncrabeau, situé sur la D930 entre Nérac au nord et Condom au sud.
Date: Le premier dimanche d’août, au cœur du village, place de la Halle.